Etant prof EPS depuis plus de 17 ans désormais, j’ai longtemps muri ma réflexion avant de la partager. Oui je sais, … un prof EPS, ça écrit !? Ah oui c’est vrai vu le nombre de vacances qu’il a, il a tout à fait le temps de faire ça … On pourrait continuer longtemps comme ça avec les clichés, mais cela fera certainement l’objet d’un autre article. Aujourd’hui je voulais vous parler d’une chose qui m’exaspère dans mon métier ; le barricadement des écoles.

Devoir passer par-dessus la grille de l’école

En étant TZR (Titulaire sur Zone de Remplacement), j’ai visité pas mal d’établissements sur Dunkerque. Au début des années 2000, seuls les établissements difficiles s’étaient entourés de clôtures avec camera à la sonnerie pour identifier les visiteurs. Puis progressivement tous les établissements s’en sont équipés au début des années 2010. Et qui dit camera et ouverture à distance de la porte, implique forcement la présence quasi permanente d’une personne, pour visualiser les visiteurs, et les autoriser à entrer ou sortir. Au début, c’était les concierges, et ils ont progressivement étaient remplacés par des personnels administratifs. Vu la contrainte qu’impose cette présence, les cartes à bip sont désormais de plus en plus présentes.

Bref ce rapide historique pour dire que cette politique m’a amené 2 fois à passer par dessus la grille d’entrée principale pour sortir du boulot ! En effet, c’était à chaque fois un mercredi après-midi, quand il n’y a quasiment plus de personnel dans l’établissement. Ceci alors que les profs EPS, eux sont encore en train de travailler en animant les activités de l’UNSS (Union Nationale du Sport Scolaire). Et bien sûr, il n’y avait personne pour ouvrir le portail, et les clés ou bips étaient en attente de livraison, ou il n’y en avait pas assez pour tous les profs !

Une mise en place compliquée

Parfois certains chefs d’établissements prenaient la décision de laisser la grille ouverte. A quoi ça sert de mettre une grille si c’est pour la laisser ouverte ! Eh bien, ils étaient lassés de devoir laisser un personnel devant un écran, ou d’attendre les nouvelles clés, ou des bips en remplacements des anciens qui tombent en panne, etc. Et puis, de toute façon, une grille qui s’ouvre toutes les 2 heures dans la journée, ne peut pas garantir qu’un établissement soit complètement hermétique. Une personne motivée saura toujours trouver le meilleur moyen de rentrer dans un établissement scolaire. Toutes ces situations ubuesques m’ont questionné sur cet enfermement qu’ont connu les établissements scolaires.

Une décision sans concertation des enseignants

Une nouvelle fois, les enseignants ont constaté ce barricadement sans qu’on leur ai posé la moindre question. J’imagine que les décideurs n’ont pas pris la peine de le faire au nom de la sacro-sainte « sécurité » des enfants. Pourquoi a-t-on pris cette décision du jour au lendemain ? Quels étaient les problèmes qui ont obligé les décideurs à mettre en place ce barricadement ? Je pense que si on avait posé la question aux enseignants sur les mesures à prendre pour améliorer les conditions de travail, ils auraient proposé de nombreuses autres solutions avant celle-ci ! Comme par exemple de réduire les effectifs d’élèves dans les classes. Mais là on est tout de même en droit de se demander à qui profite le crime ? Les familles des décideurs travaillent dans les clôtures ?

Une illusion de sécurité

Quant aux questions de sécurité liées aux actes terroristes, outre l’attaque de Mohamed Mehra dans l’école juive en 2012 (école sécurisée), je ne me souviens pas d’attaques marquantes dans des écoles publiques. A ma connaissance seuls les Etats Unis connaissent des fusillades meurtrières répétées dans les écoles, ceci alors même que la plupart des écoles sont sécurisées avec souvent même un policier résident dans l’établissement.

Quel a donc été le résultat de cette surabondance de métal, clôtures et autres cameras en tout genre ? Pour moi, la conséquence directe de cette dérive sécuritaire, a été une baisse directe des personnels encadrants. Avec, dans certains établissements difficiles, une augmentation des petites actes d’incivilité et de violence quotidienne. Et oui, en cette période de réduction de la dette publique, qui profite surtout aux grandes banques, il a fallu faire un choix entre la sécurité matérielle, ou du personnel pour encadrer les enfants. Au lieu de repousser la violence à l’extérieure de l’école, ces décisions n’ont fait que les augmenter à l’intérieur. Avec de moins en moins d’adultes présents !

Intégrer au lieu d’exclure

Et si au lieu de repousser les individus violents ou de les exclure, on essayait d’intégrer ces individus ? Enfin aujourd’hui, paradoxalement, les établissements excluent de moins en moins les élèves violents ou à la dérive. Ils risquent en effet d’en récupérer un pire derrière et j’imagine que cela ne doit pas favoriser les plans de carrière des chefs d’établissement. Pour le vivre régulièrement, ces élèves qui finissent par être systématiquement exclus de la plupart des cours, errent dans les salles de permanence sans que personne ne les prennent vraiment en charge. Ben oui, le ou les surveillants qui restent sont bien souvent trop occupés à faire les tâches faites avant par leurs collègues ; aller chercher les billets d’appel, les pointer sur Pronote, surveiller les aller et venues dans les couloirs, aller vérifier l’écran de contrôle de la grille d’entrée si le personnel administratif est en pause ou en repos … j’en passe et des meilleurs.

Arrêter le cloisonnement et ré-ouvrir les écoles

Pourquoi ne s’inspire-t-on pas du modèle suédois qui prend en charge chaque élève au moindre signe de décrochage et qui laisse les écoles ouvertes. On pourrait aussi dans nos écoles détacher un ou plusieurs adultes (prof ou surveillant) pour s’occuper des élèves qui décrochent ou sont exclus de cours. Ah oui … mais non ! Il faut payer les milliers de tonne de clôtures et cameras qui entourent nos écoles, du coup il n’y a plus de sous pour payer ne serait ce que le minimum de personnel pour assurer les cours ! Alors du personnel supplémentaire pour aider des élèves « qui ne travaillent pas », hors de question ! En plus, l’Etat Français doit payer sa dette aux banques privées qui réclament de plus en plus d’argent via leur taux d’intérêt, vu que la France est un mauvais élève en terme de dépenses publiques !

Augustin d’Humières pense que l’échec des syndicats et de la hiérarchie de l’Education Nationale a entraîné l’effondrement des résultats scolaires. Pour lui, il existe même un lien entre cet échec et l’éclosion du djihadisme. En effet, les derniers terroristes qui ont acté en France étaient pour la plupart des français qui ont fréquenté les bancs des écoles françaises. En laissant errer les élèves fragiles dans les établissements sans les prendre « vraiment » en charge, en les laissant passer de classe en classe avec des résultats médiocres, nos dirigeants prennent le risque que ces jeunes se retournent un jour ou l’autre contre ce système qui n’a pas su les prendre en charge. D’autant plus lorsque des mouvances radicales sont à la recherche de ce type de jeunes à la dérive.

Natacha Polony nous rappelle cette évidence en reprenant les propos de Victor Hugo : c’est en ouvrant des écoles, en réduisant les effectifs dans les classes et en permettant à chaque élève de s’épanouir qu’on pourra espérer vider les prisons et éviter les drames récents qu’a connu la France. L’école n’est pas le seul domaine sur lequel il faut travailler pour éviter cela bien sûr, mais c’est selon moi un maillon essentiel.

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