Il fut une époque, révolue et sentant la naphtaline, durant laquelle les fans de cinéma horrifique se voyaient montrés du doigt, étaient considérés comme de dangereux tueurs en puissance, que l’on cachait au fond des vidéo-clubs juste derrière la catégorie pornographique. Cette époque a pourtant laissé des traces des années après, et le chemin de croix de ce genre au sein de la culture a été parsemé d’embûches. Aujourd’hui, je souhaite démontrer que nous ne sommes pas des assassins refoulés, ni des déviants, et j’ai ainsi choisi de m’entourer pour cette périlleuse mission.
J’ai convoqué des fans du genre, des pointures, l’excellence en somme afin de m’appuyer sur leurs paroles pour étayer une thèse très simple: Le film d’horreur est une expression de notre culture, et non une manifestation de nos pulsions les plus noires.
Ma team se compose ainsi:
- Xavier et Maëva, notre couple aux airs angéliques unis pour le meilleur et surtout pour l’horreur.
- Loïc, directeur artistique du Bloody Week-End et inquiétant personnage aux mille visages
- Laurent, le sage, fils de vidéaste confirmé et affirmé, encyclopédiquement très dérangé et artistiquement hyperactif
- Sylvain et Dominique, nos quarantenaires coincé entre l’enfer des vidéo-clubs et la terreur des MadMovies, forts de leur culture horrifique viscérale
- Et moi-même, le Druide, gourmand instigateur de cette fantasque mascarade horrifique, qui je l’espère vous fera changer d’avis sur notre univers.
Des profils psychologiques différents, des antécédents différents, des attitudes différentes, cette team reflète tous les travers de notre société. Mais l’association de ces profils va vous transporter dans un univers qui, s’il semble effrayant, peut devenir votre meilleur ami… ou le pire…
Le premier contact avec le cinéma horrifique
C’est l’œil, passerelle universelle, qui offre au fan son premier contact avec le monde de l’horreur. Un premier contact qui se veut être un rite de passage. En effet, le premier contact avec le cinéma horrifique n’est pas un fantasme. Il est impossible de connaitre le contenu de la boite (de pandore?) avant de l’avoir ouverte. Elle ne promet rien, ne prétend rien. Elle averti tout au plus par l’illustration du film, ce que les anciens appelaient la jaquette. Ce rite de passage est donc une réelle perte de virginité face à l’image horrifique.
A partir de cet instant, ma vie a radicalement changé, une découverte du cinéma de genre de laquelle a découlé une passion que je cultive au quotidien. (Loïc)
Malgré le lourde symbolique de ce terme, il existe de vraies similitudes. Le premier film d’horreur véhicule une émotion qui ne sera jamais reproduite. Un instant unique. C’est la seule fois que sera ressentie cette bulle de sensations grisantes, enivrantes, effrayantes…
La peur est une sensation facile à avoir la première fois. Mais elle devient une chimère lors de l’après. Elle sera donc difficile à ressentir à nouveau, et n’aura jamais une intensité comparable. Et c’est dès l’apparition de cette peur que le visuel devient psychologique.
La peur est la sensation la plus difficile à obtenir. La rationalité de notre esprit veille et remet de suite les choses à leur place. (Dominique)
L’image, entrée par l’œil, a un accès directe à l’esprit du spectateur. Elle marque ainsi son âme comme une pellicule… Le spectateur découvre ainsi un nouvel exutoire.
Le cinéma horrifique est un moyen de me divertir, de penser à autre chose. (Maëva)
La réalité véhicule au quotidien de nombreuses émotions qui se retrouvent facilement dans le cinéma que d’aucuns pourraient qualifier de « conventionnel ». Ainsi, rire devant un film, ressentir de la joie ou de la tristesse n’est pas suffisamment exotique pour créer la cassure. Le cinéma horrifique est plus éprouvant. Il permet l’évasion. Il purge…
Ne manquait plus qu’un lieu de culte, un sanctuaire pour partager son amour du genre. Et à l’unanimité, le vidéoclub restera comme la source physique de toutes ces émotions. La caverne du monstre, prêt à engloutir chaque passant.
Quand il y a eu un magnétoscope à la maison, ça a été le visionnage à foison du rayon fantastique/horreur du vidéoclub. (Laurent)
Et ces premiers contacts avec le cinéma d’horreur: quels sont-ils?
La place de l’art dans l’art
Un constat ressort très objectivement de la place du cinéma horrifique au sein du 7ième art: Ce cinéma n’est pas pris au sérieux. Pire, il semble réservé à une caste de fan qui se cachent. Un genre à part…
L’horreur a toujours été plus compliquée à diffuser au public. Ce genre y travaille pourtant depuis plus de trente ans. Montré du doigt, souvent mal aimé, mais surtout incompris. Heureusement, la tendance s’inverse et le recul permet de voir que notre cinéma pour « dérangés » tend à devenir un cinéma pour tous, ou presque. La diversification a aidé le genre à ratisser plus large, à étendre son public. Les genres qui composent le cinéma horrifique sont si nombreux et éclectiques que de plus en plus de monde sait y trouver sa part d’âme. Il va de soi que cette diversification s’est avérée indispensable pour obtenir reconnaissance.
Mais la place du cinéma horrifique est également défendue par l’avenir qu’il crée à ceux qui s’y frottent. Ainsi, il est très facile d’avancer l’argument que le cinéma horrifique a une place de tremplin dans le 7ième art. En effet, de nombreux acteurs aujourd’hui célèbres sont passés par la case « horreur », pour beaucoup dans des films à la réputation très élogieuse. Pour ne citer qu’eux:
- Jennifer Lawrence
- Brad Pitt
- George Clooney
- Scarlett Johansson
- Bradley Cooper
- Ethan Hawkes
Mais c’est également le cas, comme le faisait remarquer Laurent, avec des réalisateurs:
- Alfred Hitchcock
- Peter Jackson
- Sam Raimi
- John Carpenter
Si ce cinéma est réellement la fondation du 7ième art, ne mérite t’il pas un statut plus honorifique? Le cinéma horrifique supporte de plus moins bien la médiocrité que les autres genres. Le travail visuel est indispensable pour que la sauce prenne. Après tout, le cinéma horrifique est un genre hybride qui repose uniquement sur une supercherie visuelle et sensitive. Il est également évident que notre pays a freiné (et freine encore) allègrement l’essor du cinéma horrifique, et que la persévérance en devient indispensable.
Finalement, il semblerait malgré tout que ce genre considéré comme de l’entrée de gamme soit un réel vecteur de talent. Le 7ième art semble donc enfin considéré notre univers à sa juste valeur. Il ne semble plus être un prétexte, une béquille mais est devenu le faire valoir d’une esprit artistique synonyme de talent. Mais cette petite victoire n’est que le résultat d’années de travail, de génie et de persuasion.
Reste une question en suspend, qui s’inscrit comme un filigrane tout juste envisagé, mais jamais assumé: Le cinéma horrifique n’aurait-il pas une place difficile a mériter uniquement parce que le spectateur a peur d’avoir peur?
Nous avons besoin d’avoir peur pour nous rassurer sur notre existence. (Loïc)
Mais comment le monstre a t’il grandi?
En d’autres termes: comment le cinéma horrifique s’est-il développé depuis le début des années 80? Et cette question se présente comme la pierre angulaire de la place qu’il occupe aujourd’hui dans notre quotidien. Mais d’abord, pourquoi 1980?
Cette année 1980 reste un charnière dans l’histoire de l’horreur. C’est la première année des eighties, décennie qui fut l’une des plus fructueuses dans l’histoire du cinéma horrifique, une de ces représentantes emblématique.
Dans les années 80, le cinéma horrifique était plus expérimental. La créativité des réalisateurs était beaucoup plus importante du fait que tout était encore à découvrir. (Sylvain)
Et les films sortis cette année 1980 en sont le parfait exemple:
- Shining de Stanley Kubrick
- Fog de John Carpenter
- Vendredi 13 de Sean Cunningham
- Antropophagus de Joe D’Amato
- Maniac de William Lustig
- Frayeurs de Lucio Fulci
Le monstre a effectivement grandi, s’est développé afin de se montrer au plus grand nombre. Mais il a du se mouvoir différemment, troquer le sang pour l’esprit, et l’isolement fanatique pour une démocratisation raisonnée. C’est ainsi que le cinéma horrifique s’est montré le genre le plus conquérant de ces trente dernières années. Aucun genre ne s’est aussi bien adapté à la configuration économique, idéologique et artistique de notre société. Et c’est probablement ce qui l’a sauvé d’un avenir aussi inenviable que celui du cinéma érotique italien de la même période, relégué aux rebuts par des téléfilms sans ambition ne servant qu’à engraisser indirectement les grands groupes du paysage audiovisuel.
Ainsi, les plus visionnaires ont su profiter de l’évolution des supports audiovisuels pour surfer sur l’image technologique du genre. Par le fait, plus les supports sont devenus démocratiques, et plus le cinéma horrifique s’est offert à tous. Fuyant l’élitisme et misant sur la bravoure, il s’est accroché à la promesse de populariser les moyens pour adapter la manière. Les années 80 et la VHS, les années 90 et le DvD, et les années 2000 et l’internet. Et le genre, composé de nombreux esprits visionnaires, s’est judicieusement adapté depuis les années 80, chose qui aujourd’hui serait impossible, les supports étant dans une voie de garage.
Je n’aurais pas aimé vivre il y a 50 ans où la production horrifique n’était pas aussi florissante qu’aujourd’hui. (Xavier)
Ainsi, toujours plus de spectateurs, toujours plus de fans et notre passion est devenue virale. Mais le genre a malheureusement souffert d’une vulgarisation collatérale ayant étendu son champs des possibles vers le haut mais également vers le bas. La croissance du monstre n’a donc pas été gratuite. Et la qualité a un prix. Des alternatives underground ont ainsi émergé, venant soutenir le spectre des réussites du passé.
Heureusement, il y a toujours une scène plus indépendante qui nous permet de découvrir de petits films plutôt inventifs et un peu en marge des grosses productions du genre. (Sylvain)
Complétant à merveille l’offre actuelle, le genre s’en est trouvé d’une richesse formidable et permet aujourd’hui de revenir avec une immense fierté sur le patrimoine qu’il a bâti depuis une trentaine d’années. Il aura finalement mérité ses attributs de genre novateur, pertinent, parfois choquant, souvent stimulant mais toujours indispensable.
En somme, il apparait que le cinéma horrifique n’est pas le vilain canard qu’il semble être. Il se dévoile, capte l’attention. Il noue avec l’esprit du spectateur un lien intemporel. Aucune violence dans cette relation charnelle. Le cinéma horrifique, une fois entré, n’en sortira plus. Il entre comme un vampire, parce qu’il y a été invité. Et il vit comme un rêve, car il apporte au spectateur les émotions dont son quotidien est privé. La relation de l’horreur et du spectateur est une union, forte et honnête.
Ainsi, une fois le spectateur charmé, le cinéma horrifique doit se faire une place d’honneur dans notre paysage de désolation cinématographique. Car il est différent, fait peur et inquiète, un constat désolant nombre de ces défenseurs. Mais c’est à la force de ses bras lacérés qu’il a en trois décennies prouvé l’immense qualité de son art. Un art dans l’art, dans un 7ième art qui s’est snobisé à grand coup de tapis rouge et de statuettes dorées. On voit l’effort à la sueur, et le mérite à l’usure. Et nous autres fans sommes de fervents convaincus de ces qualités. Et les hautes autorités ciné ont du se faire un raison: notre famille de déviants à porté la plus grosse remise en question cinématographiques de l’histoire du cinéma. 30 années de labeur pour aujourd’hui être enfin un vecteur de fierté.
Tout cela sans haine, sans décapitations ni éviscérations, sans rancœur ni violence. Ainsi, nul besoin de croire que nous sommes de sombres personnages. C’est uniquement notre ferveur qui est le ciment de ce genre. Et ceux qui croient sont ceux qui réussissent. Ceux qui fomentent sont ceux qui périssent…
J’ai pris l’habitude de donner l’exemple du train fantôme. J’y allais souvent enfant. Nous aimions y aller pour nous amuser à nous faire peur. On crie puis on éclate de rire. Le cinéma horrifique est ainsi au 7ième art ce que le train fantôme est à la fête foraine. (Laurent)
Merci à la Team de l’Horreur, pour leur travail et leur réflexion:
Maëva, Xavier, Loïc, Laurent, Sylvain, Dominique et leurs penchants pour le monde de l’horreur
Crédits photo: Photos personnelles Le Druide, photos des membres de la Team, pochettes de films personnels