C’était le dimanche 20 mars dans une commune du département du Nord du nom de Raismes. Ce dimanche matin, un motard est décédé dans un accident de la route impliquant son deux-roues et une automobile. Il n’était pas encore 9h30. Les journaux locaux se sont largement fait l’écho de ce nouveau drame de la route. Alors même que l’état lançait il y a quelques jours sa nouvelle campagne de sécurité routière, il semble évident que le partage du réseau routier entre les différents usagers ne cessera d’être un caillou dans la chaussure de nos élus. Cette nouvelle campagne, imagée par un film intitulé « Perte de contrôle » et ciblant plus particulièrement les deux-roues, fait le choix de l’image choc, tout en gardant en filigrane l’importance de la responsabilité de tous dans ce terrible constat qu’est la mortalité sur nos routes. Ce débat fait suite à la publication des chiffres de la sécurité routière de 2015, année durant laquelle 3464 personnes trouveront la mort sur nos routes, dont 768 pilotes de deux-roues. 11000 d’entre eux seront blessés. Ces chiffres sont malheureusement en augmentation pour la seconde année consécutive. Mais alors : Pourquoi est-il si difficile de créer un cohabitation sereine entre motos et automobiles sur nos routes ?

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Un réseau vieillissant

Le parc automobile français compte 38,4 millions de véhicules en circulation. Le nombre de ces véhicules en circulation ne cesse d’augmenter, malgré les efforts des administrations pour promouvoir l’usage des transports en commun, et le réseau routier saturé continue inexorablement d’être le théâtre de dramatiques accidents. Nous sommes effectivement tous condamnés à nous partager des infrastructures vieillissantes, dont la rénovation peine à voir le jour et dont l’entretien se transforme en joyeux patchworks, faute de moyens financiers, mais également suivant les politiques des différents gouvernements. D’ailleurs, l’Association de Prévention Routière considère que les infrastructures routières sont un élément aggravant dans 35% des accidents routiers, et un élément déclencheur pour les deux-roues dans 7,7% des cas. L’État ainsi que les différentes associations de sécurité routière cherchent pourtant des solutions visant à améliorer la cohabitation sur nos routes, en renouvelant les infrastructures, en fluidifiant le trafic afin de laisser un maximum de champ d’action aux principaux protagonistes du réseau.

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C’est dans cet optique qu’ont été créées les pistes cyclables, projet validé en Comité Interministériel d’Aménagement et de Développement du Territoire (CIADT) le 15 décembre 1998, preuve que la conscience de l’urgence s’est faite très tôt. Un développement freiné par la difficulté des infrastructures actuelles à recevoir des aménagements suffisamment sécurisés. Une autre piste pour soulager le réseau routier est le ferroutage, qui consiste à charger des camions complets (chauffeur compris) sur des trains. En France le développement du ferroutage a toujours été l’objet de déclarations de volonté politique sans que cette volonté ne soit traduite dans les faits : les raisons invoquées ont été multiples comme l’inadaptation de l’infrastructure et des matériels ou l’absence de qualité de service de la société nationale.

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Les évolutions en terme d’équipements de sécurité tardent également à se démocratiser, avec pour seul exemple la modification des glissières de sécurité, communément appelées les guillotines par les pilotes de deux-roues et dont l’installation systématique est un combat de chaque instant pour les associations de motards comme la FFMC, qui milite pour sensibiliser les services publics à l’urgence d’agir, en avançant que 6% des décès de pilotes de deux-roues sont la conséquence directe de ces glissières inadaptées.

Ce réseau routier se révèle donc trop encombré pour permettre aux automobiles et aux motos d’y circuler en toute sécurité, sachant que ces deux moyens de locomotion représentent la majorité des engins roulants sur le territoire français avec 31,7 millions d’automobiles et 3,2 millions de motos en circulation en 2015.

Une cohabitation faites de bonnes et de mauvaises attitudes

Outre les comportements inconscients que sont la consommation d’alcool (présente dans 28% des accidents mortels)et de drogue (23% des décès surviennent dans des accidents impliquant un conducteur contrôlé positif aux stupéfiants) au volant, l’attitude et l’état d’esprit des conducteurs est également un élément à prendre en compte. L’automobile et la moto sont des moyens de transport totalement différents, et leur cohabitation occasionne donc des réactions différentes. Sachant qu’un sondage de 2015 avance que 62% des utilisateurs d’automobiles déclarent l’utiliser chaque jour, on peux penser que leur rapport à l’automobile ne sera pas le même que celui du motard qui utilisera son véhicule de manière plus épisodique. Ainsi, des disparités vont apparaître en terme d’attention et d’attitude qui ne sont que la réponse psychologique à notre rapport au quotidien. En effet, là où le motard utilise son véhicule par plaisir, par passion et souvent pour sa propension à distiller un plaisant sentiment de liberté, l’automobiliste utilise son véhicule par obligation, par habitude, par routine même sans en éprouver la moindre satisfaction.

Cela provoque par conséquent des comportements à risques pour l’automobiliste. 33% des automobilistes oublient en effet leur clignotant lors d’un dépassement, 59% lors d’un rabattement, selon l’observatoire de la Société des Autoroutes du Nord et de l’Est de la France, sachant que cet oubli est régulièrement évoqué comme une cause possible d’accident entre automobiles et motos. 50% des accidents entre un deux-roues motorisé et une voiture sont dus à une erreur de l’automobiliste (qui dans 70% des cas n’a tout simplement pas vu le deux-roues) tandis que dans 37% des cas l’erreur est imputable au conducteur du deux-roues motorisé lui-même (sachant que 2/3 de ces accidents surviennent en milieu urbain, zone de promiscuité principale entre usagers).

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L’utilisation des deux-roues semble donc préserver leurs utilisateurs des mauvais réflexes dont souffrent les automobilistes. Et ce même sur des sujets devenus de fausses évidences : en effet, une étude sur le comportement des pilotes de deux-roues révèle que seulement 5,4% des accidents de deux-roues ont été causés par une vitesse supérieure ou égale à 100km/h. Les problèmes de cohabitation semblent donc devoir être imputés à l’automobiliste en majorité. Un constat qui peut être relativisé si l’on prend en compte certaines manœuvres des deux-roues énormément décriées, comme la remontée de files, qui consiste à inventer une voie imaginaire entre deux voies pour remonter la circulation.

Quoi qu’il arrive, l’automobiliste considérera toujours son véhicule comme une extension de son domicile, et le motard comme une extension de son corps, et ce seul et unique point de divergence sera vraisemblablement toujours un frein à leur cohabitation. La multiplication des différents comportements des usagers ne nous facilite donc guère la tâche quant à une éventuelle explication de ces problèmes de cohabitation.

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Le progrès controversé

Mais il reste un point qui ne doit pas être négligé dans ce débat : les avancées technologiques.

En effet, on estime à 84,8 km/h la moyenne de vitesse observée de nos jours par les pilotes de deux-roues, contre 100,8 km/h en 2002. Il semblerait donc que, malgré la course effrénée à la puissance que se livrent les constructeurs (pour exemple, le modèle phare des sportives Yamaha est passé de 150cv à 200cv dans la même période), le comportement des conducteurs serait de plus en plus raisonnable. A cela s’ajoute les améliorations en terme d’équipements de sécurité active et passive. Ainsi, les équipementiers proposent aujourd’hui des airbags permettant de préserver le pilote en cas de chute, des systèmes d’ABS très performants, et travaillent même sur des applications techniques visant à redéfinir les notions d’équilibre en deux-roues.

L’automobile n’est pas exempte de prouesses technologiques, avec des véhicules devenus presque autonomes dans des situations imprévues du quotidien, telles l’endormissement, le franchissement involontaire de lignes ou la surveillance électronique des réactions des autres véhicules. Mais une conséquence inattendue ressort de ces évolutions. Les conducteurs sont victimes, bien malgré eux, d’un funeste regain de confiance qui distille en eux une sensation « d’invincibilité », terme largement employé dans le débat entre équipementiers et défenseurs de la sécurité routière, quant à la place du conducteur dans le fonctionnement de son véhicule. Et à cette invincibilité s’ajoute un manque d’attention, qui coupe le conducteur de son environnement. Le régulateur de vitesse est notamment la cible de ces attaques, accusé de priver le conducteur de sa suprématie sur son véhicule, et ainsi faciliter sa distraction.

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Et ce constat n’est qu’aggravé avec l’utilisation du téléphone portable, qui atrophie drastiquement l’attention du conducteur pour ne l’enfermer que plus encore dans sa bulle.

Les avancées en terme de mortalité routière (passée de 10960 morts en 1986 à 3464 morts en 2015) sont donc une des conséquences de ces améliorations technologiques. Les organismes comme EURO NCAP procèdent à des crashs test qui illustrent parfaitement ces progrès. Mais le revers de la médaille quant aux effets pernicieux et mal maîtrisés de ces avancées technologiques est lui difficilement quantifiable. Mais il est certain que pour améliorer la cohabitation entre usagers, leur attention et leur maîtrise, qui passent par une indispensable lucidité quant aux limites de l’homme et de sa machine doivent être des enjeux majeurs.

Au risque de prendre à contre pied les croyances populaires, qui visent à transformer les motards en conducteurs inconscients et dangereux, les conséquences dramatiques de leur cohabitation avec les automobilistes sont bien le fruit de nombreux paramètres plus ou moins palpables, quantifiables et modifiables. Mais les chiffres parlent, et leur analyse vise donc à mettre en avant la responsabilité des automobilistes qui sont le plus souvent à l’origine des accidents.

Les motards eux paient toujours au prix fort l’extrême exposition aux chocs inhérente à leur mode de transport. Esclaves du progrès, des infrastructures mais également de leur comportement, les usagers ne parviennent pas à évoluer en symbiose. Et l’évolution des différents moyens de locomotion ne s’opère pas de la même façon pour tous. Il semble évident que l’acceptation de l’autre pourrait être le début d’une immense restructuration de nos habitudes routières, mais la sécurité des usagers constituera bien le seul échappatoire pour la cohabitation sur notre routier.

Crédits photos : Le Figaro, APR, photos personnelles. Crédits vidéo : YouTube (Euro Ncap)