C’est une histoire d’amour, de mer, de marins et d’humanité comme on les aime à Dunkerque. C’est une histoire qui pourrait ressembler à une fable, et même à un mythe, tant les valeurs et les symboles qu’elle véhicule sont forts… C’est une histoire émouvante qui s’inscrit avec les jours et les marées dans la légende dunkerquoise… Une histoire de Sirène, d’artistes et de marins… On vous la raconte ici…

LE PREMIER RENDEZ-VOUS…

Il a lieu en 1989, quand Léopold Franckowiak, artiste lillois, est sollicité pour créer une sculpture monumentale, balise  du port de Dunkerque, point de sortie et de retour des marins. L’artiste vient de terminer un ouvrage sur le nu dans la Renaissance italienne et s’inspire d’une Vierge de la Chapelle Sixtine pour sculpter la Sirène, ce point de « rendez-vous », lui qui a déjà créé d’autres « points fixes remarquables« , installations donnant libre cours à son imaginaire artistique. La Sirène a donc rendez-vous avec la mer, et avec les Phares et Balises de Dunkerque qui lui préparent un ancrage, une bouée de dragage. Mais cette Sirène se déchaîne, dans tous les sens du terme. Ou plutôt, celle qui dans les mythologies traditionnelles fait s’échouer les bateaux, abîmée par les vagues tumultueuses et les tempêtes légendaires d’équinoxes multiples, vient s’échouer sur les rochers… Elle est dans un triste état, notre Sirène…

Alors, un collectif dunkerquois entre en contact à nouveau avec Léopold Franckowiak qui accepte de faire naître une seconde Sirène. Celle-ci n’a plus le visage de la Vierge, même si les marins autochtones l’appellent affectueusement Marie. Elle est plus voluptueuse. Elle s’inspire d’un modèle vivant que l’artiste  reproduit en doublant les proportions. Monumental monument pour la gloire des amoureux de la mer. Nous sommes en 2005. Et c’est là qu’entre en scène le Fiancé de la Sirène…

DES FIANÇAILLES DE LÉGENDE

Il est sportif. C’est d’ailleurs son métier d’enseigner l’éducation physique et sportive dans les collèges et les lycées du dunkerquois. Il est coach sportif à l’hôpital psychiatrique de Cappelle la Grande. David Godin est sauveteur en mer au sein de la S.N.S.M. Et il est amoureux de la Sirène depuis le début… Il assiste d’ailleurs aux deux inaugurations officielles de son égérie. En octobre 2005, lors de la Présentation à la Terre. Michel Delebarre, alors Maire de la Cité de Jean Bart, consacre la « Renaissance de la Sirène ». En mars 2006, lors de la Présentation à la Mer quand la Sirène retrouve son poste de vigie. Un prêtre est là pour bénir l’union de l’œuvre avec les eaux. Mais c’est une autre union qui se scelle. C’est David Godin, à bord d’une embarcation de la S.N.S.M.,  qui est chargé de déposer des fleurs sur la sculpture. À ce moment précis, il perd son alliance dans les plis et les pétales de la belle. Quand le prêtre vient officier, il retrouve le précieux anneau qu’il brandit pour le rendre… au Fiancé de la Sirène ! C’est ainsi que naissent les légendes… Une saynète a d’ailleurs été écrite à l’époque par Christophe Piret, auteur et metteur en scène, et jouée un peu partout, qui raconte cet épisode de notre histoire… Et, ces mots de Léopold Franckowiak résument avec beaucoup de justesse et de poésie ce mariage de destins qui se scellent au fil des rencontres :

C’est l’histoire de l’amour et du plaisir, de la couleur et du désir. Une histoire qui dit que les Rendez-vous sont comme des mariages où les uns et les autres, attirés de tous les points de la Terre, vont les toucher lui et elle qui, sous le couvert de voûtes d’éther, soupirent et convolent. Léopold Franckowiak, Le Plumage de l’Ange.

On croirait ces mots écrits pour la Sirène et son Fiancé…

51 DEGRÉS 04-38 DE LATITUDE NORD. 2 DEGRÉS 21-35 DE LONGITUDE EST

C’est la position exacte de la Sirène. C’est là que David va à la rencontre de sa belle, régulièrement, avec ses collègues de la S.N.S.M, pour voir si tout va bien… Quand elle n’hiberne pas. Car depuis cette tragique première aventure, les employés des Phares et Balises prennent soin chaque hiver de mettre à l’abri la Sirène. En accord avec la C.U.D. qui veille au grain. Sauf que c’est la bouée qui est entretenue et réparée chaque hiver. Pas la belle. Qui continue à se dégrader, abîmée par les outrages des goélands et du temps.

En 2015, avec l’accord de l’artiste et celui tacite du service Patrimoine de la C.U.D., David entreprend de restaurer l’œuvre. En autodidacte, il apprend. La résine, les couleurs, les mélanges. Il sait s’entourer aussi. D’abord de généreux donateurs qui lui permettent d’acquérir le matériel nécessaire. Le Yachting Club et son Restaurant, le Club des Dauphins, les Marins de la Citadelle, La Bouée bleue, Les Loups de mer. Tous se mobilisent. Et puis Vincent Marteel, des Phares et Balises, spécialiste de résine et de polyester, entreprend la restauration, voire la reconstruction,  de la structure. David, lui, s’occupe de redonner des couleurs à la belle. Le Chirurgien et le Fiancé de la Sirène se retrouvent l’hiver pour raviver le symbole féminin de Dunkerque. Qui renaît symboliquement chaque année à Pâques lors de sa remise à l’eau…

Car quand on y pense, si Jean Bart est le père spirituel de la Ville, la Sirène, elle, fiancée d’un marin, est la mère de milliers d’autres… C’est auprès d’elle que les cendres des amoureux de la mer sont dispersées… Elle veille pour toujours sur les âmes des défunts  mêlées aux embruns… Et c’est pour cette raison, peut-être, qu’à nouveau cette année nombreux sont ceux qui ont répondu à l’appel de David Godin, relayé par le magazine La Vigie de la Citadelle, en février 2017 : Des sous pour la Sirène, un Coup de bluch pour la Sirène.

Et voilà que depuis février dernier, David le Fiancé, Vincent le Chirurgien, rejoints par une artiste peintre, Chantal Huyge Tiprez, la Maquilleuse, se retrouvent régulièrement dans les ateliers des Phares et Balises pour faire renaître les formes et les couleurs de la belle.

Mais le travail n’est pas terminé et la remise à l’eau n’a pas eu lieu comme d’habitude à Pâques… Peut-être que la Marie des eaux retrouvera sa place quand les marins dunkerquois fêteront la Marie des cieux le 15 août prochain… Encore un symbole…?

Ce qu’espère David ? Que la remise à l’eau annuelle de la Sirène, chaque année pour Pâques, s’inscrive et s’ancre dans le calendrier dunkerquois. Comme le Bain des Givrés, les Trois Joyeuses ou la Cô Pinard’s Cup… Pour que chaque année renaissent et se renouvellent les fiançailles des hommes avec la mer…

Les photos, confiées par David Godin,  sont de Sébastien Miserole. Qu’ils en soient tous les deux remerciés !