Rencontre avec Michaël POUCHELET, dunkerquois qui co-développe un concept basé sur l’échange ou la vente de proximité selon des thèmes bien précis. Ce concept d’économie collaborative a démarré avec Ecobrico et le personnage de Victor pour l’expliquer. La dernière déclinaison du concept a abouti à Ecomairie, partage de biens et service entre habitants, pour la ville de Grande-synthe.

Bonjour Michaël, peux-tu te présenter rapidement ?

Je suis Michaël Pouchet, 34 ans, marié 2 enfants, chef d’entreprise multi récidiviste qui travaille depuis son bac dans tout ce qui touche aux Start-Ups, et à l’événementiel. J’ai ensuite été membre du comité de direction du groupe Tranchant ce qui m’a amené à Dunkerque en septembre 2005 suite à une promotion à l’interne, après avoir commencé dans le casino du groupe à Nevers.

Votre concept ne risque-t-il pas de mettre en péril le chiffre d’affaire de grands groupes commerciaux ?

Je ne pense pas forcement les mettre en danger. Nous sommes une alternative de développement. Suite à la crise de 2008, il y a 2 marchés aujourd’hui. Le marché du neuf pour un premier achat dans un magasin et le marché de l’occasion pour la réutilisation des outils. Bricoman a lancé son site de partage collaboratif. Les grandes marques commencent de plus en plus à s’y mettre car le marché de l’occasion a fait la preuve de son succès avec des sites comme le boncoin ou mon débarras.fr. Ce marché de l’occasion, nous préférons l’appeler, marché alternatif, avec une meilleure consommation et une prise de responsabilité différente, qui font que ce marché se développe. Ce marché n’est pas concurrent au marché du neuf, mais les grandes enseignes seront obligées d’y venir un jour.

Si les grandes enseignes s’y mettent, c’est que ton concept du départ était déjà une bonne idée au départ ?

Avant de faire ecomairie, on était parti sur ecobrico. Autant on pouvait trouver sur les grands sites nationaux de l’occasion des jeux vidéo, des voitures, des maisons, autant on n’y trouvait pas jusqu’ à il y a peu de temps, car maintenant c’est un peu le cas, des moitiés de pots de peinture ou des fins de chantier, car c’est difficile de donner une valeur à un pot de peinture. L’avantage du site ecobrico est qu’en mettant en avant ces produits de fin de chantier, on démocratise un peu ce qui traine dans les garages, et cela n’intéressait pas forcement les grandes enseignes nationales.

Aujourd’hui Leroy Merlin a proposé d’échanger ses produits de fin de chantier, pour tenter de les vendre, contre des bons d’achats à réutiliser dans leur magasin. Donc oui cela se démocratise. Leroy Merlin a d’ailleurs été une des premières enseignes à venir nous voir pour mettre sur ecobrico des produits qui étaient abimés et qu’ils ne pouvaient plus mettre en magasin.

Qu’est ce qui t’as poussé à mettre ton idée en action ?

Mon associé Laurent MARCANT gérant de la société Touteco. Nous sommes amis dans la vie. Il savait que je travaillais dans la communication. Lui était dans un tout autre domaine, l’installation de rails à l’international. Il est venu me voir un jour et m’a dit écoute il y a des choses à faire, il manque une alternative aux grands groupes nationaux. On ne trouve pas forcement le produit qu’on veut, juste à côté de chez soi. Il voulait absolument privilégier la proximité et la géolocalisation. Moi je dirigeais 2 agences de communication et il s’est dit qu’on avait quelque chose à faire, moi sur la communication et lui sur l’aspect stratégie commerciale et gestion de l’entreprise. Ce qui nous a poussé, c’était le fait de sentir qu’il y avait un manque, une alternative à créer.

Aujourd’hui cette alternative là ne se situe pas juste au niveau des gens qui vont vendre un produit, pour pouvoir acheter d’autres choses ensuite. Elle se situe aussi d’un point de vue de la collectivité ou de la mairie qui le met en place, car l’objectif très clair d’ecomairie pour la collectivité c’est de pouvoir réduire le nombre de déchets entrant dans les centres de tri, afin de pouvoir générer une économie basé sur le tri des déchets et en même temps développer une relation de proximité entre les voisins en disant qu’une moitié de pot de peinture qui est chez toi, elle peut servir aussi à un de tes voisins si elle n’a plus de valeur pour toi, elle peut peut-être en avoir une pour lui. L’exemple du pot de peinture est hyper précis car un des produits qui fonctionne le mieux sur ecobrico, c’est les restes de pot de peinture.

Peut-on dire que c’est un vrai travail d’équipe ?

Ce qui a véritablement déclenché ce travail d’équipe avec ecomairie, c’est le premier contact que nous avons eu avec Damien CAREME qui nous a dit un jour : votre concept est intéressant mais il faudrait que vous soyez en capacité de le développer au sein de ma commune. C’est quelqu’un de très avancé sur les questions de développement durable et le traitement des déchets. Et il nous a dit : on va donc travailler ensemble sur ce premier prototype et très rapidement Jean Pierre TRIQUET avec l’accord Patrice VERGRIETE est aussi entré dans le jeu, donc la Communauté Urbaine de Dunkerque pour nous dire : « l’outil que vous avez en place à la taille d’une mairie, on peut le mettre en place à la taille d’une agglomération ».

Cela arrive à point pour tout le monde, car aujourd’hui toutes les agglomérations françaises ont des obligations de résultats qui sont de réduire de 45 % les déchets d’ici à 2021. C’est important pour une commune comme Grande-Synthe qui dépense aujourd’hui un peu plus de 250 000 € pour ramasser les encombrants. Et quand les subventions diminuent, ils doivent malheureusement tailler dans des services proposés aux habitants et pouvoir inclure une alternative dans cette réduction du ramassage des encombrants. Avec ecomairie, cela permet de temporiser un peu, avec un service complémentaire et un budget totalement différent puisque une ville comme Grande-Synthe va pouvoir économiser 125 000 € pour en dépenser 3 000 € dans l’outil.

As-tu réussi à rendre ce concept viable économiquement ?

On a fait un choix très précis sur ce concept en pariant sur la quantité de sites similaires plutôt que sur un concept d’amortissement très court. Le principe d’ecobaby était basé sur la commercialisation de bannières publicitaires, ce qui demandait énormément de moyens en levée de fond, ce qui pouvait freiner certains investisseurs. C’est pour cela que ecomairie a vu un repositionnement stratégique complet avec une méthode de génération de chiffre d’affaire qui n’est pas du tout la même. La mairie paye une licence, puis un abonnement mensuel dans lequel est inclus l’aspect modération manuelle des annonces, l’hébergement, suivi entretien, SAV, et autres options de statistiques.

Aujourd’hui on en vit pas, on a commencé réellement la commercialisation il y a un mois. Un peu avant la sortie du site de Grande-Synthe. Vu que Grande-Synthe avait été précurseur dans le travail qui a été fait avec eux, on ne voulait pas qu’un autre site sorte au National. On avait donc temporisé le développement vers les autres villes. Maintenant le site est sorti. Et là on est en train d’attaquer toutes les villes en France. On a 150 villes qui sont en train de monter le dossier pour mettre en place le site. On est donc sur une logique de développement national. On aurait même la capacité technique d’aller à l’international. Nous avons des contacts en Italie. Nos contacts sont surtout des techniciens en charge du développement durable, qui sont souvent plus sensibles à nos idées.

Bandeau-Ecomairie

Nous n’avons pas encore de salariés, mais on a un objectif de recruter 20 personnes d’ici à 3 ans majoritairement sur des plateaux de modération, dont un qu’on mettra en place et qu’on maintiendra à Dunkerque. La rentabilité économique existera dès que nous arriverons à signer 3 sites par mois. Pour l’instant Laurent et moi sommes seulement deux, moi en plus de mon job. L’objectif est que cette structure devienne un mi-temps pour moi par la suite et un plein temps pour Laurent.

Nous avons fait des erreurs avec ecobrico et ecobaby. Cela nous avait coûté 140 000 € de mise en place. Mais cela nous a permis de repositionner le modèle. Aujourd’hui ce qui tue une majorité de Start-Up c’est de croire que « OK on a une bonne idée, c’est sûr, ça va marcher de suite ». Ce n’est pas vrai. Il faut se battre comme n’importe quelle PME PMI. Il faut croire au projet et surtout se remettre en question et se repositionner. On avait des intentions, on n’avait pas clairement identifié ecomairie comme une solution potentielle avec une cible clients différente, les mairies plutôt que des annonceurs lambda qui viennent sur le site. Et grâce à Damien Carême et la CUD cela a fait tilt et on a co-construit avec eux ce concept. C’est une vraie construction dunkerquoise.

On peut dire que ce repositionnement est arrivé juste à temps, pour sauver nos premiers échecs. Mais ecobrico et ecobaby continuent tout en sachant que notre modèle économique a été complétement inversé. On reviendra plus tard sur le développement, une fois que nous aurons passé le virage dans lequel nous sommes actuellement.

Quels conseils pour les dunkerquois qui voudraient se lancer ?

Les conseils qu’on peut donner aux dunkerquois et même à tout le monde, c’est déjà de ne jamais rester seul. C’est la vrai problématique : on a toujours autour de nous des gens qui ont vécu des expériences de création d’entreprises, en allant rencontrer des réseaux de jeunes créateurs d’entreprises ou différentes structures d’accompagnement sur le territoire. Cela peut nous permettre de nous créer un réseau et de rencontrer d’autres gens qui créent en même temps que nous. Il n’y a pas de formation pour devenir un chef d’entreprise.

Je crois que la formation c’est vulgairement de « prendre des baffes dans la gueule ! » surtout au départ.

Le premier point c’est donc d’être bien accompagné, d’accepter de se faire accompagner et d’aller voir les structures existantes. Ensuite il faut prendre le temps de mûrir le projet. Un projet ne doit pas partir sur un coup de tête, il y a toujours des opportunités certes, mais personne aujourd’hui n’est en capacité de dire « Aujourd’hui, je mets 100 000 € sur la table et je crée ma boite ». Non ce n’est pas possible, cela ne se fait pas comme ça. Un autre aspect important, c’est d’être bien entouré par sa famille et ses amis, car on ne dort pas beaucoup, et on ne se paye pas beaucoup au départ, voir pas du tout. Moi-même en créant mes boites de com, il m’a fallu 1 an et demi avant de toucher mes premières rémunérations. Et cela n’est pas évident quand on vit avec quelqu’un et qu’on commence à avoir des enfants. Faut que les gens croient en nous car on en prend déjà plein la gueule toute la journée !

Si notre famille ne suit pas pendant ces moments difficiles, et que le moral n’est pas là, c’est foutu. Oui il y a des bonnes périodes, mais il y en a aussi des mauvaises qu’il faut être prêt à accepter. Ça peut très vite monter, comme ça peut très vite descendre. Pour ceux qui ont vécu des échecs, il faut se dire que ce n’est pas un échec, que c’est une étape, et que le succès n’arrive jamais d’un seul coup, c’est très rare. Il faut savoir se casser la gueule et rebondir avec plus ou moins de bobo pour pouvoir un jour avoir du succès.

Crédits photos : ecobrico – Michaël Pouchelet